Retour sur des Débats Marquants des Présidentielles Américaines

Democratic Presidential nominee Governor Bill Clinton (L) Independent candidate Ross Perot (C) and President George Bush laugh at the conclusion of their Presidential debate in East Lansing, Michigan, U.S., October 19th, 1992. REUTERS/Mark Cardwell/File Photo - S1BEUCTACFAB

Les débats électoraux aux États-Unis ont bien changé depuis l’époque où un avocat de l’Illinois captivait le pays avec son plaidoyer contre l’esclavage.

Cet avocat n’était autre qu’Abraham Lincoln. En 1858, il est candidat au Sénat et prend part à un débat contre son opposant Stephen Douglas. En dépit de la force de ses arguments, Lincoln perdra l’élection. Mais ses propos retranscrits et  distribués dans tout le pays contribueront à le propulser à la Maison Blanche deux ans plus tard.

Il faut attendre 1976, c’est-à-dire plus d’un siècle après cet épisode, pour voir l’organisation de débats devenir la norme lors des élections présidentielles. Cette année, trois débats sont prévus entre les candidats des deux partis principaux ainsi qu’une rencontre entre leurs colistiers, candidats à la vice-présidence.

Ces face-à-face seront un peu différents à cause de la pandémie de nouveau coronavirus. Ils risquent d’être plus importants puisque, en raison des restrictions de santé publique, les candidats n’ont pas pu se rendre sur le terrain aussi souvent que lors des campagnes présidentielles précédentes.

Peinture d’Abraham Lincoln et d’autres personnes debout sur un podium devant une foule de spectateurs (© Fotosearch/Getty Images)
                                       Peinture représentant le débat d’Abraham Lincoln avec Stephen Douglas, le 18 septembre 1858 (© Fotosearch/Getty Images)

Au-delà de la pandémie, les débats d’aujourd’hui diffèrent à bien des niveaux du débat entre Lincoln et Douglas. Par exemple, au lieu de s’exprimer pendant une heure (au moins) à tour de rôle lors d’une séance de trois heures en tout, les candidats actuels répondent chacun leur tour à des questions posées par des journalistes. Leur face-à-face dure 90 minutes et il est retransmis en direct à la télévision. En outre, le public n’a pas à attendre de recevoir par télégraphe la transcription de leur discussion ; des dizaines de millions de personnes la suivent en direct, et les réseaux sociaux et la presse relaient non seulement les propos des candidats mais aussi les réactions des spectateurs pendant et après chaque face-à-face.

Si, en général, seulement deux candidats, un républicain et un démocrate, sont invités à débattre devant le pays, les candidats des partis tiers/indépendants n’en figureront pas moins sur les bulletins de vote.

La Ligue des électrices*, une association indépendante, a longtemps été chargée d’organiser les rencontres. Mais en 1988, les dirigeants des partis ont pris les rênes de la gestion des débats. Depuis, seuls les candidats qui bénéficient d’un soutien notable dans les sondages sont autorisés à débattre. Dans la pratique, cela signifie que deux candidats seulement montent sur le podium chaque automne, encore qu’en 1992 le candidat indépendant Ross Perot ait été lui aussi invité à s’exprimer.

Quelle influence sur les électeurs ?

Il est difficile de déterminer l’influence exacte des débats sur les électeurs, mais il est certain qu’« ils sont importants », affirme Kathleen Hall Jamieson, directrice de l’Annenberg Public Policy Center à l’Université de Pennsylvanie. « C’est l’unique occasion de comparer les candidats [des principaux partis] dans un même lieu et quand ils répondent aux mêmes questions. Cela donne une idée de leur tempérament et de leur capacité à s’adapter à l’imprévu. »

De plus, les débats permettent aux spectateurs de s’informer sur les sujets importants et de savoir ce qu’en pensent les candidats, ajoute Bill Benoit, professeur de communication à l’Université de l’Alabama à Birmingham.

Une femme tenant un jeune enfant dans ses bras et regardant la télé avec un jeune garçon (© David Zalubowski/AP Images)
           Teresa Natale, une électrice de Denver, suit un débat présidentiel à la télé en compagnie de son fils de 6 ans et de son bébé, en 2004. (© David Zalubowski/AP Images)

« Les débats font changer d’avis certains électeurs, mais le plus souvent, ils renforcent leurs positions, note M. Benoit. Le débat de fait pas gagner ou perdre une campagne à lui seul, mais il est certain qu’il consolide ou affaiblit une campagne. »

Une autre grosse différence avec les débats de l’époque de Lincoln, c’est le fait qu’aujourd’hui, les spectateurs sont en mesure non seulement de suivre le débat à la télé, mais aussi de guetter les réactions des autres spectateurs sur les réseaux sociaux, ce qui peut les empêcher de bien comprendre le point de vue des candidats, explique M. Benoit.

À cause de la COVID-19, les débats n’incluront peut-être pas de spectateurs sur place, cette année. Cela améliorera les choses, selon Mme Jamieson, parce que les électeurs devront se faire un avis sans être influencés par les applaudissements du public.

Les débats américains contrastent avec ceux d’autres démocraties en raison du système politique aux États-Unis, plus axé sur le candidat lui-même que sur le programme du parti, souligne Stella M. Rouse, professeure associée de science du gouvernement et de la politique à l’Université du Maryland.

« Les débats dans ce pays sont une affaire très individualiste », dit-elle.

Les révélations surprenantes et les faux pas dominent souvent l’actualité après coup. Et il arrive que les réactions éclipsent la vérité. Par exemple, lors du débat vice-présidentiel de 1988 entre Lloyd Bentsen et Dan Quayle, Bentsen a marqué un point contre son adversaire quand celui-ci a signalé qu’il avait autant d’expérience au Congrès que John F. Kennedy avant sa présidence.

« J’ai travaillé avec Jack Kennedy. Je connaissais Jack Kennedy. Jack Kennedy était un ami. Sénateur, vous n’avez rien d’un Jack Kennedy », a rétorqué Bentsen. Comme le fait remarquer Mme. Jamieson, même si Quayle avait bien les années d’expérience qu’il affirmait, la vérité a été couverte par le reste de la conversation.

Lloyd Bentsen et Dan Quayle se serrant la main (© Ron Edmonds/AP Images)
          Les candidats Llyod Bentsen, à gauche, et Dan Quayle se serrent la main après leur débat vice-présidentiel à Omaha, dans le Nebraska, en 1988. (© Ron Edmonds/AP Images)

Malgré tout, les débats donnent aux électeurs des indications sur la façon dont les candidats gouverneraient. Certains électeurs sceptiques se plaignent que les politiciens ne tiennent pas leurs promesses de campagne, mais d’après Mme Jamieson, les faits démontrent le contraire. En moyenne, les présidents cherchent à mettre en place 60 % des propositions qu’ils ont faites pendant la campagne.

Pendant les débats, « on peut voir une différence assez spectaculaire entre ce qu’ils feraient », explique Mme Jamieson.

Le débat de 1980 en est une bonne illustration, selon Mme Jamieson. Le président Jimmy Carter, qui avait une formation d’ingénieur, donnait beaucoup de chiffres, mais il n’arrivait pas à dresser un tableau plus général. Pour Ronald Reagan, c’était le contraire : il était doué pour raconter des histoires qui plaisaient au public, mais il donnait peu de détails.

Les deux ont fini par diriger avec ces deux forces et faiblesses, estime-t-elle.

Reagan était très doué pour lancer des phrases accrocheuses. Il a remporté l’élection après avoir interpelé les spectateurs pendant le débat, leur demandant : « Est-ce que vous êtes mieux lotis qu’il y a quatre ans ? »

Bien qu’une grande partie de l’actualité s’arrête sur ces répliques percutantes, les électeurs se font un meilleur point de vue en écoutant des informations sur les sujets importants. D’après M. Benoit, les études montrent que les gens qui ont regardé un débat sont mieux informés sur les questions en jeu que ceux qui ne l’ont pas suivi.